En plus des règles du chapitre 3, nous ajoutons les règles concernant les quantificateurs, la copie et l'égalité. Notre système comporte toujours une seule règle pour enlever les hypothèses (la règle d'introduction de l'implication). Les définitions de brouillon de preuve, environnement, contexte, formule utilisable restent inchangées. Nous montrons la cohérence des règles de notre système, mais nous admettons sans preuve, que ce système est complet : des preuves de complétude pour des systèmes de règles similaires peuvent être trouvées dans les livres [2,11]. Contrairement au cas propositionnel, il n'y a aucun algorithme pour décider si une formule est valide ou non valide (preuve donnée par Alonzo Church et Alan Türing en 1936 et 1937 [4,24]). Autrement dit, en admettant l'équivalence entre prouvable (sans environnement) et valide, il n'y a pas d'algorithme qui, étant donné une formule, puisse nous en construire la preuve, ou nous avertir que cette formule n'a pas de preuve.
Notre système de règles se divise en plusieurs familles de règles :
L'ensemble des règles d'introduction et d'élimination de quantificateur est présenté dans la table 6.1. Dans cette table, A et B sont des formules, x est une variable, t est un terme. Notez que contrairement aux règles « propositionnelles», l'usage de ces nouvelles règles est contraint par des conditions d'emploi, qui utilisent les notions de variable libre (Définition 4.2.3) et de terme libre pour une variable (Définition 4.3.34).
Dans la suite, nous détaillons ces règles et nous illustrons leur usage sur des exemples et des contre-exemples montrant les erreurs occasionnées par le non respect des conditions d'emploi.
La règle d'élimination du quantificateur universel, notée ∀E,
signifie que si la formule A est vraie pour toute valeur de x
alors toute instance de A où x est remplacé par un terme
t libre pour x est vraie. Notez que cette règle est une simple
application du corollaire 4.3.38, page .
Nous justifions ci-dessous les conditions d'emploi de cette règle par un exemple montrant qu'un usage incorrect de la règle peut conduire à prouver une formule non-valide.
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons ∀x∃yP(x, y) | |
1 | 2 | ∃yP(y, y) | ∀E 1, y ERREUR |
3 | Donc ∀x∃yP(x, y)⇒∃yP(y, y) |
À la ligne 2, nous n'avons pas respecté les conditions
d'applications de la règle ∀E car le terme y n'est pas libre
pour x dans la formule
∃yP(x, y). Nous donnons une
interprétation qui est un contre-modèle de la «conclusion» :
soit I l'interprétation de domaine {0, 1} avec PI =
La règle d'introduction du quantificateur universel, notée ∀I, signifie que si nous avons pu déduire la formule A indépendemment de la valeur de x, nous pouvons généraliser en déduisant ∀xA. Ainsi, il est nécessaire que x ne soit libre ni dans l'environnement de la preuve, ni dans le contexte de la ligne où nous avons déduit A.
Nous illustrons maintenant l'emploi de la règle d'introduction du quantificateur universel avec un exemple d'usage correct (exemple 6.1.2) et un exemple d'usage incorrect (exemple 6.1.3) de la règle.
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons ∀yP(y)∧∀yQ(y) | |
1 | 2 | ||
1 | 3 | ||
1 | 4 | ||
1 | 5 | ||
1 | 6 | ||
1 | 7 | ||
8 | Donc ∀xP(x)∧∀xQ(x)⇒∀x(P(x)∧Q(x)) | ⇒I 1,7 |
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons P(x) | |
1 | 2 | ∀xP(x) | ∀I 1 ERREUR |
3 | Donc P(x)⇒∀xP(x) | ⇒I 1,2 |
À la ligne 2, nous n'avons pas respecté les conditions
d'applications de la règle ∀I car la prémisse P(x) est
établie dans le contexte P(x), ce qui interdit de généraliser sur
x. Nous donnons un contre-modèle de la «conclusion » :
La règle d'élimination du quantificateur existentiel, notée ∃E, signifie que si ∃xA est vraie et que nous pouvons déduire A⇒B indépendemment de la valeur de x, alors nous pouvons déduire B, si la formule B ne dépend, elle non plus, de la valeur de x. Ainsi, il est nécessaire que x ne soit libre ni dans l'environnement de la preuve, ni dans B, et ni dans le contexte de la ligne A⇒B.
La condition d'emploi de cette règle étant complexe, nous illustrons l'emploi de la règle avec deux exemples d'usage incorrect.
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons ∃xP(x)∧(P(x)⇒∀yQ(y)) | |
1 | 2 | ∃xP(x) | ∧E1 1 |
1 | 3 | P(x)⇒∀yQ(y) | ∧E2 1 |
1 | 4 | ∀yQ(y) | ∃E 2,3 ERREUR |
5 | Donc ∃xP(x)∧(P(x)⇒∀yQ(y))⇒∀yQ(y) | ⇒I 1,4 |
Nous n'avons pas respecté la condition que le contexte de la prémisse
P(x)⇒∀yQ(y) ne doit pas dépendre de x. Il est
clair que la conclusion obtenue n'est pas valide. Nous donnons une
assignation (I, e) qui est un contre-modèle de cette «
conclusion» :
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons ∃xP(x) | |
1,2 | 2 | Supposons P(x) | |
1 | 3 | Donc P(x)⇒P(x) | ⇒I 2,2 |
1 | 4 | P(x) | ∃E 1,3 ERREUR |
1 | 5 | ∀xP(x) | ∀I 4 |
6 | Donc ∃xP(x)⇒∀x P(x) |
La conclusion de la règle ∃E est P(x), contrairement à la
condition d'application de cette règle qui impose que la conclusion ne
doit pas dépendre de x. Nous donnons une interprétation qui est
un contre-modèle de la cette «conclusion» :
La règle d'introduction du quantificateur existentiel, notée ∃I, signifie que si une instance de la formule A où x est remplacé
par un terme t libre pour x est vraie, alors la formule
∃xA est vraie. Notez que cette règle est une simple
application du corollaire 4.3.38, page . Ce
qui justifie la condition d'emploi. Pour s'en convaincre, il suffit
d'étudier l'exemple 4.3.37, qui précède le corollaire
4.3.38.
Ci-dessous, nous donnons un exemple d'usage correct de la règle d'introduction du quantificateur existentiel en démontrant l'une des lois de De Morgan.
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons ¬∀xA | |
1, | 2 | ||
1, | 3 | ||
1, | 4 | ||
1, | 5 | ||
1, | 6 | ||
1, | 7 | ||
1, | 8 | ||
1, | 9 | ||
1 | 10 | ||
1 | 11 | ||
12 | Donc ¬∀xA⇒∃x¬A | ⇒I 1,11 |
La règle de copie consiste à déduire d'une formule A, une autre
formule A' égale au changement près des variables liées, au sens de la
définition 4.4.5, page . Par exemple,
∀x∃yP(x, y) est une copie de
∀y∃xP(y, x).
Deux règles caractérisent l'égalité : un terme est égal à lui-même (règle de la réflexivité) et si deux termes sont égaux, nous pouvons les remplacer l'un par l'autre (règle de la congruence).
![]() |
|
![]() |
Nous remarquons que la première règle n'a pas de prémisse. C'est ce que nous appelons aussi un axiome. Nous remarquons aussi que les conditions d'emploi de la deuxième règle sont similaires à celles des règles ∀E et ∃I. Ces conditions d'emploi se justifient de la même manière que précédemment.
Nous donnons maintenant deux exemples d'application des règles d'égalités.
contexte | numéro | ligne | règle |
1 | 1 | Supposons s = t | |
1 | 2 | ||
1 | 3 | ||
4 | Donc s = t⇒t = s |
1 | 1 | Supposons s = t∧t = u | |
1 | 2 | ||
1 | 3 | ||
1 | 4 | ||
5 | Donc s = t∧t = u⇒s = u |
Supposons A | |
preuve de C dans l'environnement Γ, A | |
Donc A⇒C | ⇒I 1,_ |
C | ∃E |
∃yA < x : = y > | Copie de ∃xA |
Supposons A < x : = y > | |
preuve de C dans l'environnement Γ, A < x : = y > | |
Donc A < x : = y > ⇒C | ⇒I 1,_ |
C | ∃E |
La recherche de la preuve initiale a été réduite à la recherche d'une preuve dans un environnement plus simple. C'est exactement le mode de raisonnement appliqué dans les cours de mathématiques quand nous cherchons une preuve d'une formule C avec l'hypothèse ∃xP(x). Nous introduisons une constante «nouvelle» a vérifiant P(a) et nous prouvons C sous l'hypothèse P(a).
Nous reprenons les notations du paragraphe précédent. Supposons que nous cherchons une preuve de ∀xA dans l'environnement Γ.
preuve de A dans l'environnement Γ | |
∀xA | ∀I |
preuve de A < x : = y > dans l'environnement Γ | |
∀yA < x : = y > | ∀I |
∀xA | Copie de la formule précédente |
La recherche de la preuve initiale a été réduite à la recherche d'une preuve dans un environnement plus simple. C'est exactement le mode de raisonnement appliqué dans les cours de mathématiques quand nous cherchons une preuve de ∀xP(x). Nous introduisons une constante «nouvelle» a et nous prouvons P(a). Puis nous ajoutons : puisque le choix de a est arbitraire, nous avons ∀xP(x).
1 | Supposons ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)) | |
preuve de ∃xP(x) dans l'environnement de (1) | ||
preuve de ∀x∀y(P(x)∧P(y)⇒x = y) dans l'environnement de (1) | ||
∃xP(x)∧∀x∀y(P(x)∧P(y)⇒x = y) | ∧I | |
Donc ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y))⇒∃xP(x)∧∀x∀y(P(x)∧P(y)⇒x = y) | ⇒I |
Nous cherchons une preuve de ∃xP(x) dans l'environnement de ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)). Nous appliquons la tactique «raisonner en avant en présence d'une hypothèse existentielle».
référence | formule | |
i | ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)) | |
1 | Supposons P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y) | |
2 | P(x) | ∧E1 1 |
3 | ∃xP(x) | ∃I 2, x |
4 | Donc P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)⇒∃xP(x) | ⇒I 1,2 |
5 | ∃xP(x) | ∃E i, 3 |
Nous cherchons une preuve de ∀x∀y(P(x)∧P(y)⇒x = y) dans l'environnement de ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)). Nous appliquons, dans l'ordre ci-dessous, les tactiques suivantes :
environnement | |||
référence | formule | ||
i | ∃x(P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y)) | ||
contexte | numéro | preuve | règle |
1 | 1 | Supposons P(x)∧∀y(P(y)⇒x = y) | |
1 | 2 | ||
1 | 3 | ||
1 | 4 | ||
1 | 5 | ||
1 | 6 | ||
1 | 7 | ||
1 | 8 | ||
1 | 9 | ||
1 | 10 | ||
1 | 11 | ||
1 | 12 | ||
1 | 13 | ||
1 | 14 | ||
1 | 15 | ||
16 | ∀x∀y(P(x)∧P(y)⇒x = y) |
La tactique «utiliser une hypothèse d'existence» sert à produire la ligne 16. La tactique «introduire une implication» sert à produire la ligne 15 : elle introduit l'hypothèse (1) dans laquelle x est une variable libre. Donc, pour appliquer la tactique « obtenir une conclusion générale», il faut changer de variable dès la ligne 2. Observer aussi que la formule, ligne 3, est instanciée aux lignes 5 et 8.
Comme sur cet exemple, toute la difficulté des preuves est concentrée autour des règles ∀E et ∃I :
Nous commençons par montrer deux propriétés à propos des quantificateurs existensiel et universel. Enfin nous montrons la cohérence de notre système de déduction.
Si nous observons d'un œil critique cette preuve, nous observons que c'est une paraphrase, dans un autre formalisme, de la loi ∀I. C'est l'équivalence ci-dessus, qui explique que la tactique «raisonner en arrière pour généraliser», est une tactique utilisable sans risque. En effet, en admettant la complétude du système, lorsque x n'est pas libre dans Γ, il y a une preuve de A dans l'environnement Γ si et seulement s'il a une preuve de ∀xA dans ce même environnement.
Si nous observons d'un œil critique cette preuve, nous voyons que c'est une paraphrase, dans un autre formalisme, de la loi ∃E. C'est l'équivalence ci-dessus, qui explique que la tactique «raisonner en avant avec une hypothèse d'existence», est une tactique utilisable sans risque. En effet, en admettant la complétude du système, lorsque x n'est libre ni dans Γ, ni dans B, il y a une preuve de B dans l'environnement Γ, A si et seulement s'il a une preuve de B dans l'environnement Γ,∃xA.
Preuve : La preuve obéit au même plan que celle du même théorème dans le cas propositionnel (voir théorème 3.3.1) et nous en reprenons les notations en traitant uniquement le cas des nouvelles règles.
Soit Γ un ensemble de formules. Soit P une preuve de A dans cet environnement. Soient Ci la conclusion et Hi le contexte de la i-ème ligne de la preuve P. Rappelons que les lignes d'une preuve sont numérotées à partir de 1 et que H0 est la liste vide.
Notons par
Γ, Hi l'ensemble des formules de l'ensemble
Γ et de la liste Hi. Supposons que pour tout i où
0 < i < k,
Γ, Hi Ci. Montrons que, pour 0 < k,
Γ, Hk
Ck.
Nous examinons uniquement le cas des nouvelles règles et pour simplifier nous ne faisons pas de distinctions entre deux formules égales aux abréviations près de la négation et de l'équivalence.