Un est-il un nombre premier ?

David Monniaux

Récemment je me suis trouvé dans une conversation avec des personnes éloignées des disciplines mathématiques sur la question de si 1 (un) est ou non premier.

Le trésor de la langue française définit un nombre premier comme un « nombre entier qui n’est divisible que par lui-même et l’unité. ». L’unité (1) est divisible par elle-même et par l’unité, donc serait alors à considérer comme un nombre premier.

Toutefois, on peut considérer que la conjonction « et » dans cette phrase (« par lui-même et par l’unité ») présume que les deux termes qu’elle relie désigne des nombres distincts, un peu comme si l’on dit « David et David » on entend qu’il s’agit de deux David différents. Dans ce cas, un n’est pas un nombre premier.

On pourrait s’en tenir à une position de terminologie et de nuances de la langue française. Il est à mon avis bien plus intéressant de se demander quelle définition est la plus intéressante pour travailler.

À quoi servent les nombres premiers ? Bien sûr, les nombres premiers ont de nombreuses propriétés, mais la plus connue est sans doute que tout entier naturel se décompose de façon unique en un produit de nombres premiers. Par exemple, 12 se décompose en 2×2×3, et il n’y a pas d’autre façon de le décomposer en nombres premiers (nous considérons ici que 2×2×3 et 2×3×2 sont la même décomposition, moyennant une réorganisation).

Si nous adoptons une définition des nombres premiers qui permet que 1 soit un nombre premier, cette propriété ne tient plus : 12 se décompose également en 1×2×2×3 ou encore 1×1×2×2×3. Pour retrouver une propriété qui fonctionne, il faudrait dire « se décompose de façon unique en un produit de nombres premiers non égaux à 1 », ce qui est plus lourd.

Ceci met en évidence plusieurs points au sujet des mathématiques, au moins au niveau enseignement supérieur et recherche :

(La suite pour les personnes plus intéressées.)

Une autre façon de voir les choses, comme souvent en mathématiques, est de se demander comment elles se généralisent. Je ne vais pas évoquer ici des concepts tels que les entiers de Gauss et m’en tenir à quelque chose de plus familier : les entiers relatifs (…-3, -2, -1, 0, 1, 2…).

Est-ce que -2 est un nombre premier ? -2 = (-1)×2, deux nombres distincts de -2 et de l’unité (1). Donc, en prenant la définition plus haut, on conclurait que -2 n’est pas un nombre premier. Soit, pourquoi pas. Mais, par ailleurs, 2=(-1)×(-2), 2 s’exprime comme un produit de deux nombres distincts de l’unité et de lui-même, donc suivant cette même définition, 2 n’est pas un nombre premier, ce qui est vraiment trop bizarre.

Quel rôle joue -1 dans les décompositions en produits ? Comme pour 1, c’est un nombre qu’on peut à volonté rajouter dans des décompositions qu’on aimerait considérer comme identiques : de même que 12 = 2×2×3 = 1×2×2×3, 12 = (-1)×(-1)×2×2×3. Ce qui fait que ça fonctionne, c’est qu’on peut compenser une multiplication par -1 en multipliant à nouveau par -1. On va étendre le concept d’unité et dire que -1 est aussi une unité. On retombe sur la propriété de décomposition unique en disant qu’on va considérer comme identiques des décompositions où les nombres ne diffèrent que par multiplication par des unités.